Yves Klein

(1928, Nice – 1962, Paris)
Artiste français. Comme pour Beuys ou Warhol, il est difficile d’envisager son œuvre indépendamment de son existence, très tôt devenue mythique sous l’effet de sa propre stratégie. Bien que ses parents, quelque peu bohèmes, pratiquent tous deux la peinture, lui-même s’y attaque assez tard, et en autodidacte complet. Dans sa prime jeunesse il fait deux découvertes déterminantes. Un gourou niçois l’initie, avec son ami Arman, aux doctrines rosicruciennes : la Cosmogonie des rose-croix de Heindel devient pour longtemps son livre de chevet. Parallèlement il apprend le judo. En 1952, il part pour le Japon où il passe quinze mois au célèbre institut Kodokan. À son retour il commence à enseigner : son activité de judoka professionnel sera très longtemps à la fois son gagne-pain et une source d’équilibre (« Son vrai métier était d’être judoka. Sur les tapis de judo il se sentait en paix intérieurement » écrit sa compagne Bernadette Allain). Vers 1951, il commence à réaliser de petits pastels monochromes qu’il accroche dans sa chambre et dans les salles de judo. En 1955, il présente au Salon des réalités nouvelles (où sa mère exposait depuis longtemps) un monochrome orange qui est refusé. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Restany, Tinguely, Raysse et César, noyau du groupe des nouveaux réalistes. En 1956, Colette Allendy expose une série de ses monochromes, de couleurs différentes, mais c’est l’année suivante qu’a lieu l’étape décisive : avec Adam, le célèbre marchand de couleurs de Montparnasse, il met au point un bleu outremer très particulier, qu’il appelle IKB (International Klein Blue) et qui sera désormais sa marque. Ses monochromes bleus, travaillés au rouleau – qui élimine toute trace de touche, tout geste personnel – à bords et angles légèrement arrondis, plus plats qu’une toile habituelle sur son châssis, accrochés à distance du mur, doivent « supprimer l’espace qui existe devant le tableau dans le sens que la présence du tableau envahit cet espace et le public lui-même » (Klein), matérialisant le concept rosicrusien d’imprégnation de la matière par l’énergie spirituelle. Son exposition (1957) à la galerie Apollinaire de Milan, « l’Epoca blu », a un grand retentissement, en particulier chez Fontana et Manzoni. À Düsseldorf il entre en relations avec les jeunes artistes du Groupe Zéro, et travaille à la décoration de l’Opéra de Gelsenkirchen – pour le foyer duquel il crée deux immenses peintures murales et deux reliefs-éponges IKB. Vers cette époque apparaît chez lui une tendance mégalomaniaque dans ses démarches où la part d’humour est difficile à discerner (« Yves savait plaisanter, il pouvait se tordre de rire par terre… mais en même temps il se prenait terriblement au sérieux » dit Tinguely). En mai 1958, il écrit à Eisenhower et à Khrouchtchev pour leur annoncer le renversement du gouvernement français par la Révolution bleue. En juin de la même année il fait une conférence à la Sorbonne, curieux mélange de Bachelard et d’ésotérisme rosicrucien. Son exposition « le Vide », préparée avec Iris Clert, marque une nouvelle étape : derrière les vitres peintes en bleu, dans la pièce principale de la galerie qu’il a vidée et peinte en blanc en plusieurs jours d’intense concentration, les invités affluent, on leur sert des cocktails bleus. Les réactions sont évidemment variées et les pompiers puis la police doivent intervenir. D’autres manifestations sur « le vide » suivront : invité à une exposition de groupe à Anvers, il laisse sa place vide, vient lire un extrait de L’Air et les Songes de Bachelard (« d’abord il n’y a rien, puis un rien profond, ensuite il y a une profondeur bleue ») et s’en va. En 1960, il exécute son célèbre saut dans le vide, du deuxième étage d’un immeuble de la rue de l’Assomption. Il vend une zone de vide contre un paiement en poudre d’or, pour lequel il délivre un reçu. L’or est jeté dans la Seine et le reçu immédiatement brûlé, selon les bonnes règles de l’alchimie classique. L’œuvre plastique progresse en même temps à un rythme accéléré. En 1960, Klein présente au musée des Arts décoratifs le premier Monogold : vêtu d’un smoking bleu il dirige un orchestre qui exécute la Symphonie monoton tandis que trois filles nues au corps couvert de peinture bleue se roulent sous sa direction sur des feuilles de papier : ce sont les premières Anthropométries. Tableaux et sculptures de feu, monochromes or, machines animant des disques IKB (avec Tinguely), telles sont quelques unes des nombreuses et spectaculaires inventions de ses dernières années. Il meurt de façon « parfaitement mythique et annoncée par des signes prémonitoires » (Mc Evilley) en juin 1962. Les monochromes de Klein n’ont rien à voir avec ceux de Rodtchenko ou de son contemporain Ellsworth Kelly. Ses scandales publics n’ont rien en commun avec la rage joyeuse et dévastatrice des manifestations de dada. S’il est capable de gestes à la Duchamp (vendre à prix différents des monochromes exposés exactement identiques), ce n’est pas par remise en cause de la notion d’œuvre d’art. Si ses conceptions théoriques sont vagues, voire fumeuses, il reste néanmoins dans son œuvre la force intacte qu’il a su y injecter.


Saut dans le vide, 1960, Paris


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