Kurt Schwitters

(1887, Hanovre – 1948, Ambleside)

Artiste allemand. Sa personnalité domine sans conteste la création allemande de l’entre-deux-guerres, et s’exprime dans des domaines aussi variés que la peinture, la sculpture ou la poésie. D’une grande amplitude lyrique, Schwitters est probablement le meilleur exemple de la polyvalence qui caractérise le créateur moderne de sa génération. Cet esprit indépendant constitue une catégorie en soi dans l’histoire de l’art moderne. Si l’on a l’habitude de classer sa création dans la catégorie dadaïste, elle y échappe quelque peu par la richesse et la multiplicité de ses orientations. Le début de sa création plastique se situe dans la mouvance expressionniste. Dans ses paysages de 1917-1918, il se rapproche rapidement de l’abstraction. L’exemple cubiste l’incite à utiliser des matériaux multiples, le plus souvent de récupération : le collage et l’assemblage seront les techniques dans lesquelles son talent s’épanouira, et ceci dès 1919. Au cours de la période « classique » (1919-1922) naissent plusieurs grands assemblages qui marquent le sommet du premier dadaïsme (les Cercles, Arbeiterbild, Merzbild 31). Associé aux activités de la galerie Der Sturm de Walden, Schwitters y expose ses collages dès 1919. Considéré comme trop « bourgeois » par ses collègues de dada Berlin et en particulier Huelsenbeck, il n’appartiendra pourtant jamais directement à leur groupe. Son œuvre évolue dans l’atmosphère très particulière de la ville de Hanovre, où il apparaît sans conteste comme le créateur le plus original et un des piliers de l’Association de la promotion de l’art moderne – Kestnergesellschaft. Considérant Hanovre comme une sorte de centre névralgique d’une création mondiale, Schwitters y réalise des actions avec ses amis Van Doesburg, Lissitzky ou Arp. Il considère sa création comme tout à fait indépendante de toute école et la distingue par la dénomination « Merz », sorte de clin d’œil et de distanciation par rapport à dada. Parallèlement à ses assemblages et à ses collages, Schwitters montre la même imagination, la même richesse d’invention dans sa création littéraire. En 1927, il publie la Ursonate, poème phonétique fondé sur les « sons originaux » (Urlauten). Ce travail, commencé sous l’impulsion de la fameuse séquence phonétique (1918) de Hausmann, constitue le couronnement de cette activité.

MERZBau

En même temps, il construit un assemblage monumental qu’il nomme « Construction Merz » (Merzbau). Ce gigantesque ouvrage est réalisé à l’intérieur de sa propre maison de Hanovre, dont il perce les étages et qui devient ainsi une œuvre d’art totale, l’existence physique de l’artiste s’identifiant ainsi à l’œuvre. Cet environnement ne survivra pas au désastre de la Seconde Guerre mondiale. Ayant appris la destruction de sa maison, Schwitters recommencera un deuxième Merzbau en Norvège, où il s’est réfugié au début de la guerre et plus tard un troisième Merzbau en Angleterre à la fin des années quarante. Ainsi, c’est l’œuvre d’art totale, rêve des créateurs du début du siècle, qui reste tout au long de sa vie le but de sa création. Les contacts avec le milieu constructiviste de Hanovre (Lissitzky, Vordemberge-Gildewart, Buchheister) constituent une autre source d’inspiration pour Schwitters. Parallèlement à sa création purement dadaïste, il produit au cours des années vingt et trente un certain nombre de peintures et reliefs géométriques purement abstraits. Mais dans cette partie de son œuvre, l’imagination lyrique reste toujours prédominante : l’œuvre construite de Schwitters n’est jamais rigidement géométrique. À partir du début des années trente, l’artiste arrivera à la synthèse de ces tendances, dans des sculptures et reliefs abstraits qui constituent un des aboutissements formels de son œuvre. Jusqu’à la fin de sa vie, il n’abandonnera pourtant jamais la pratique du collage- assemblage dadaïste, réalisé avec des éléments figuratifs empruntés à la vie courante. Sa dernière période (1942-1947), qui se déroule en Angleterre, est marquée par la même extraordinaire intensité créatrice que ses débuts. L’œuvre d’Angleterre, haute de couleur et d’imagination formelle, sera décisive pour l’éclosion du Pop Art britannique et américain. Sa première grande exposition posthume à la galerie Sidney Janis de New York eut une importance indéniable pour la génération de Rauschenberg et Johns. Engagé dès le début des années vingt dans des activités éditoriales, Schwitters avait publié plusieurs livraisons de sa revue – Merz -, où il mettait en application les principes de typographie et de mise en pages élaborés dans l’agence de graphisme qu’il avait ouverte avec son ami Lissitzky. Quelques mois à peine avant sa mort, il reprendra l’idée d’une pareille publication qu’il voulait réaliser avec son ami Hausmann. Le cheminement de la pensée plastique de Schwitters reste à ce jour quelque peu difficile à cerner, car on connaît mal sa production « réaliste ». Tout au long de sa carrière, il n’abandonna pas la pratique du paysage et du portrait, domaines où ses réalisations sont loin de manquer d’intérêt. Cet attachement à la pratique de l’image au sens premier du terme, cette discipline figurative tout à fait fondamentale pour la compréhension de son œuvre, constituent probablement l’explication du refus de l’abstraction pure et simple dont son esprit d’une liberté tout à fait exceptionnelle devait entrevoir les limites idéologiques. Ainsi l’œuvre de Schwitters ne tombe jamais dans les ornières du formalisme, contrairement à beaucoup de créateurs de sa génération. Esprit d’une liberté inconditionnelle, Schwitters fut très tôt pourchassé par les nazis : son travail fut l’un des points forts de la fameuse exposition d’ »Entartete Kunst » (Munich, 1937), et de nombreuses œuvres périrent au cours de l’holocauste culturel. Aujourd’hui, d’importants ensembles de Schwitters sont conservés dans les principaux musées allemands et à Hanovre avant tout (Sprengel Museum). Ses manifestes (Proletkult, 1922), constituent à ce jour un des meilleurs exemples de l’indépendance de l’esprit créateur de notre siècle.

Doremifasolasido, Kurt Schwitters, 1930
Doremifasolasido, Kurt Schwitters, 1930


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