Tatline

Tatline Vladimir (1885, Kharkov – 1953, Moscou)
Artiste russe. Son œuvre débute dans le sillage de l’expressionnisme et du fauvisme, qu’il découvre au cours de ses études artistiques à l’École d’art de Penza et à celle de Moscou. En 1910 il fréquente l’atelier de Ilja Mashkov, lieu de rencontre des futurs membres de l’association Valet de carreau. Fortement influencé à ce moment par la personnalité et la peinture de Larionov (qui se considérera toujours comme son maître et découvreur), Tatline participe à la première exposition du groupe, à Moscou, en 1910. En 1912, ses intérêts le portent vers l’esthétique futuriste, tandis que sa peinture s’oriente vers un expressionnisme fortement structuré par des volumes cubisants. À partir de l’été 1913 il séjourne à Paris, où il fait connaissance avec la plastique d’Archipenko et visite l’atelier de Picasso : il y voit les constructions tridimensionnelles utilisées comme modèles pour les natures mortes cubistes. Cette expérience combinée avec la connaissance du futurisme – il est fort probable que Tatline a vu en juillet 1913 l’exposition des sculptures de Boccioni à la galerie La Boétie – le conduisent à franchir le pas de l’assemblage polymatériel cubo-futuriste. La première série de contre-reliefs dits picturaux est réalisée au printemps 1914 à Moscou. Ces constructions « synthético-statiques » sont exposées dans l’atelier de l’artiste du 10 au 14 mai 1914. Leur présentation s’accompagne de déclamations de poésie futuriste du peintre et poète Podgaevski. L’évolution de Tatline – de la plastique cubiste (à volume fermé) jusqu’aux constructions non objectives – est documentée par une remarquable série de dessins analytiques (coll. Cgali, Moscou) montrant un cheminement tout à fait original qui n’a d’égal que l’évolution transrationnelle accomplie par Malevitch à l’époque. D’ailleurs, l’art et la personne de Malevitch constituent à partir de ce moment le seul véritable défi pour Tatline, défi qui le poursuivra jusqu’à la fin de ses jours. Ses assemblages de plâtre, verre et tôle, présentés frontalement à la manière de haut-reliefs, sont suivis en 1915 par des « contre-reliefs d’angle ». La sculpture non objective quitte le mur pour s’inscrire librement dans l’espace tridimensionnel. La référence au tableau et au mur, au cadre et au socle est supprimée. Ces ensembles de bois et de fer sont présentés, tenus par des câbles, en décembre 1915, lors de la célèbre « Dernière Exposition futuriste 0.10 », où a lieu la première présentation du suprématisme malevitchéen. À cette occasion, Tatline publie un dépliant contenant une brève notice biographique et cinq photographies de reliefs. Contrairement à Picasso ou à Archipenko, qui n’abandonnent pas dans leurs assemblages la référence à l’objet, Tatline crée des complexes non objectifs qui par leur forme et par leur disposition dans l’espace se distancient délibérément de la réalité illustrative. Il acquiert dès lors un rôle de guide au sein de l’avant-garde non objective. Son art, profondément enraciné dans la logique du matériau réel, conduira précisément à l’éclosion du mouvement constructiviste auquel son nom est indissociablement lié. Pourtant, il ne rédigera jamais de manifestes ni de textes théoriques, sa seule déclaration esthétique étant un texte technique publié en 1932 avec deux de ses élèves : l’Art vers la technique. Participant activement à l’organisation de la nouvelle vie artistique qui suit la révolution de 1917, Tatline est appelé à enseigner aux Ateliers libres moscovites (Svomas, 1918-1919) et plus tard à Petrograd. Pourtant, le caractère intuitif de son action artistique l’empêche de systématiser ses expériences et de former une doctrine : l’art de Tatline fera école sur le plan du mythe et non sur celui d’un ensemble de percepts formels à transmettre : il n’aura de véritables élèves que de façon indirecte. En 1920, il reçoit la commande d’un monument destiné à commémorer le congrès de la IIIe Internationale communiste. Seul le modèle de ce monument fut réalisé : structure nue d’un bâtiment en spirale, à l’intérieur de laquelle s’inscrivent les volumes utilitaires conçus en tant que formes primaires (cylindre, cube, pyramide). Exposé à Moscou en 1921 et à Paris en 1925, ce monument allait devenir le symbole du mythe constructiviste. Suivant l’évolution « productiviste » du moment, Tatline abandonne en 1923 la production d’œuvres pures au profit d’objets utilitaires : vêtements, objets usuels et autres. Au cours des années vingt, il enseigne au Vhutemas de Moscou et travaille de plus en plus fréquemment dans le domaine du décor théâtral. La fin des années vingt voit la réalisation de son dernier grand projet constructiviste, un appareil à voler, dont la force de propulsion serait produite par le battement d’ailes actionnées manuellement. L’intérêt de l’œuvre ne réside pas dans l’idée, mais plutôt dans la réalisation d’un ensemble d’ailerons, issus de courbes produites de façon intuitive. Il s’agit du fameux Vélocipède de l’air, dénommé de façon futuriste « Letatlin ». Ainsi cet artiste, épris d’art populaire, essaie-t-il de réussir la synthèse du constructivisme intuitif et de la tradition la plus authentiquement millénaire. Face à l’instauration du réalisme socialiste, Tatline se réfugie au cours des années trente et quarante dans une peinture de chevalet, qui n’est pas sans rappeler les empâtements sensuels du futur « informel ». Victime de la réaction antimoderniste, il meurt totalement oublié. Les restes de son atelier sont sauvés in extremis par des amis architectes. Ses rares œuvres conservées se trouvent dans les collections publiques soviétiques et dans quelques collections occidentales (Berlin, Stockholm).

Monument à la Troisième Internationale, 1920
Monument à la Troisième Internationale (ou Tour Tatline), 1919-1920

La Tour Tatline, chef d’œuvre de l’art constructiviste, devait être construite à partir de matériaux industriels comme le fer, le verre et l’acier. Elle était censée être un symbole de la modernité, tant dans sa forme et les matériaux la constituant que dans sa fonction, et par sa taille (400 mètres), dépasser la Tour Eiffel de Paris. La forme de cette tour était une double hélice, développée en spirale, que les visiteurs auraient pu parcourir par l’intermédiaire de dispositifs mécaniques variés. Le cadre principal aurait contenu trois énormes structures géométriques en rotation. Au pied de la tour se serait trouvé un cube effectuant une rotation sur lui-même en un an et servant de salle de conférences destinée principalement aux meetings politiques. En son centre serait situé un cône, dédié aux activités exécutives, et dont la vitesse de rotation serait d’un tour par mois. Sa partie supérieure, en forme de cylindre, devait accueillir un centre d’informations, publiant des bulletins d’information et des manifestes par télégraphe, radio et haut-parleur, et tournant une fois par jour sur lui-même. Des plans d’installation d’un écran géant à ciel ouvert sur le cylindre furent également dessinés, ainsi que ceux d’un projecteur affichant des messages dans les nuages.
Bien qu’il ait été envisagé de construire la Tour Tatline, le monument ne fut jamais entrepris. La Guerre Civile, le coût élevé ainsi que le manque de temps et de matériel empêchèrent Tatline de réaliser son œuvre.
Un modèle réduit de la Tour Tatline est exposé au Musée d’Art de Stockholm, en Suède.


Publié

dans

Étiquettes :