Analyse filmique

Scène de la douche dans Psychose

Psychose (Psycho), 1960, thriller de 1H49, réalisé par Alfred Hitchcock
La séquence commence après trois quarts d’heure de film et dure moins de cinq minutes.
Dès l’entrée du personnage dans la salle de bains, le spectateur peut découvrir la cuvette dans laquelle l’héroïne jette un papier déchiré avant d’actionner la chasse d’eau. Cette vue de la cuvette et de l’eau qui tourbillonne lance l’engrenage que le personnage de Marion Crane ne peut encore deviner et amène la première occurrence de la figure du cercle qui scandera la séquence, tel un leitmotiv.
La scène de la douche possède pour bornes, de l’entrée de Marion sous la douche à sa mort, la marque de ce motif. Le premier plan est une contre-plongée sur l’eau qui quitte le pommeau, telle une pluie battante (Hitchcock utilise à ce moment une courte focale) et le dernier est un gros plan sur son oeil ouvert et inerte (avec un travelling optique arrière et un mouvement de rotation) à travers lequel on voit se refléter la bonde de la douche. La figure répétée du cercle se propage donc comme un écho dans cette scène qui substitue la mort de Marion Crane à celui d’un martyr.
L’habitacle de la cabine compose lui-même un cercle qui enferme Marion Crane dans un catafalque (le rideau de la douche jouerait à cet égard le rôle d’un linceul) mais également le spectateur. L’impossibilité pour ce dernier de voir le visage de la personne qui poignarde Marion.
Cet espace est frappé par des lignes obliques : le jet de l’eau sur le corps de Marion qui se purifie de sa tentation (elle a décidé à ce moment de rendre l’argent dérobé à son bureau) et les coups de couteau lancés dans sa direction par la main meurtrière.
À travers les points de vue utilisés, le spectateur occupe tout d’abord la place du témoin et de voyeur : la scène débute par un point de vision sur Marion Crane entrant sous la douche. Possédant une avance sur le personnage (le spectateur entraperçoit une ombre derrière le rideau, l’imminent danger étant souligné par un travelling optique avant), il devient tour à tour victime (point de vue de l’héroïne : peur et incompréhension devant sa possible mort après 45 minutes de film) et bourreau (point de vue du meurtrier ; désir inconscient du spectateur du meurtre) et bascule donc rapidement dans la paranoïa. À l’image de Norman Bates, le spectateur s’avère être double.
Même si le montage nous donne l’impression d’une scène tournée en temps réel, il n’en est rien, sept jours furent d’ailleurs nécessaires pour le tournage. La continuité est faite par le son (bruit de l’eau quittant le pommeau), deux plans successifs (Marion a encore les cheveux secs et au plan suivant ils sont trempés) nous suggèrent pourtant l’usage d’une légère ellipse ou faux raccord. Comme il fragmente le corps de Marion, Hitchcock découpe le temps, l’accélérant à sa guise. Toute la dramaturgie est de plus soutenue par la musique de Bernard Hermann qui intègre au plus haut sommet de la tension les cris, quasi musicaux, de Janet Leigh.
La scène s’avère être un véritable exercice de montage. Marion Crane n’est pas concrètement tuée (on ne voit jamais la lame du couteau entrer dans son corps), c’est l’esprit du spectateur qui l’assassine. Après le glissement du corps de Marion qui agonise lentement (le spectateur doit en avoir pour son désir malsain ; notons une nouvelle fois l’oblique dessinée par le bras et la main de l’héroïne), l’instant de sa mort est symbolisé par la chute du rideau et son bruit caractéristique et guère éloigné d’une guillotine qui s’abat sur un condamné à mort.
Enfin, cette séquence est en grande partie sculptée et structurée par le jeu de la lumière. Le corps de Marion Crane est exhibé sous la douche comme il le serait dans une cage (voir le dessin des carrelages de la douche) ou un tribunal. Sa mauvaise conscience s’incarne à travers l’ombre qui la roue de coups de couteau, l’empêchant de quitter la douche et lui rappelant à chaque instant le vol qu’elle a commis.


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