Détournement

Peindre, dessiner, découper, coller, recomposer, rajouter, supprimer, mettre en scène, rejouer… Faites vôtre l’œuvre en référence !
Vous détournerez Narcisse du CARAVAGE de son sens premier (le mythe) vers une nouvelle signification plus personnelle.

LE CARAVAGE, Narcisse, 1598-1599, huile sur toile, 110 x 92 cm, Galerie nationale d’art ancien, Palais Barberini, Rome

« Un jour, après la chasse, le jeune homme veut se désaltérer à une source d’eau pure, et s’éprend de son propre reflet dans l’eau. Éperdument amoureux de l’être qu’il aperçoit, il tente désespérément de saisir sa propre image, incapable de s’arracher à sa propre contemplation. »

Ovide, Métamorphoses, livre III (légendes thébaines)

Narcisse est un jeune homme fou amoureux de son image reflétée dans l’eau, il ne survivra pas à cet amour… Dans cette interprétation picturale, Narcisse se contemple effectivement dans l’eau, à genoux, les bras ouverts marquant les bords droit et gauche du tableau, en une composition formant un cercle avec son reflet en double inversé et dont un genou marque le centre : son genou joue un rôle de pivot dans cette composition élaborée. Bien que le mythe de Narcisse soit très ancien, les habits du personnage correspondent plutôt à l’époque du peintre qu’à l’Antiquité. Caravage s’oppose ainsi à ses prédécesseurs en faisant de Narcisse un contemporain.

John William Waterhouse, Echo and Narcissus, 1903, huile sur toile, 109,2 cm x 189,2 cm

Appropriation vs détournement

L’appropriation, c’est le fait de rendre quelque chose propre à quelqu’un. « Propre », c’est-à-dire à soi, comme dans « propriété », mais aussi « approprié » comme convenable, c’est-à-dire adapté à soi. S’approprier quelque chose, c’est d’abord le prendre puis le faire sien en lui ménageant une place dans son monde, en ayant un usage, souvent exclusif, voire excluant, en le gardant, quelque part avec ou en soi.
Opérer un détournement est une action encore plus volontaire, qui est souvent réprouvée car jugée illégitime : détournements d’avion, de fonds publics, de mineurs… Il n’y a guère que le détournement d’un cour d’eau ou de la circulation qui puissent paraître légitimes. Mais, quoi qu’il en soit, cette action « détourne du droit chemin », au propre comme au figuré, et dirige ce qui a été détourné dans un sens qui n’était pas prévu, ou souhaité, initialement.
En art, les termes s’appliquent en général à la démarche d’artistes qui se sont appropriés des objets (ou des idées) et les ont détournés de leur fonctions. Soit pour leur donner une valeur artistique qu’ils n’avaient pas avant. Soit pour faire évoluer leur valeur artistique, par exemple quand un artiste s’appuie sur une œuvre antérieure pour élaborer son œuvre.
Source Ludovia #12 – Célio Paillard, 2015

18 propositions inspirées de La Baigneuse de Valpinçon (de gauche à droite, de haut en bas)

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  1. Jean-Auguste-Dominique INGRES, La Baigneuse de Valpinçon, 1808, huile sur toile, 146 x 97 cm, Musée du Louvre, Paris
  2. Jean-Auguste-Dominique INGRES, La petite baigneuse, huile sur toile, 1828, 35 x 27 cm, Musée du Louvre, Paris
  3. Jean-Auguste-Dominique INGRES, Le bain turc, 1862, huile Toile marouflée sur bois, 108 x 108 cm, Musée du Louvre, Paris
  4. Armand Cambon, Galel, 1864, huile sur toile, 189 x 105 cm, Musée Iingres Bourdelle, Montauban
  5. Man RAY, Le Violon d’Ingres, 1924, photographie, Musée national d’Art moderne, Paris
  6. Hans Peter FELDMANN, Untitled (Alte Meister), 1978, lithographie colorée à la main
  7. Jean-Luc, GODARD, Passion, 1982, film français, 88 min
  8. Joel-Peter WITKIN, La Femme qui fut un oiseau, 1990, photographie
    « Je fis la rencontre de celle qui devint la Femme qui fut oiseau à New York. Elle assistait à un congrès d’adorateurs du corps, dénommé : s’habiller pour le plaisir.
    Je me sentais déplacé dans cette réunion puisque je n’étais vêtu ni de vinyle ni de latex. Mais j’oubliai vite mon malaise en voyant cette créature décrocher le prix du concours tailles fines et corsets.
    Lorsqu’elle et moi échangeâmes nos cartes, je lui promis une photographie qui mettrait en évidence sa taille de quarante centimètres. Elle s’engagea à poser nue. En préparant la prise de vue, je réalisai que ce modèle à la taille si fine serait encore plus mystérieux vu de dos. La montrer sans cheveux la rendrait grotesque.
    Le Violon d’Ingres de Man Ray me guida. En notre époque postromantique, ces deux clés de fa que le surréaliste appliqua sur Kiki, son modèle, pourraient devenir deux blessures, traces des ailes de la liberté qu’on lui aurait arrachées. Man Ray montre Kiki coiffée d’un turban de sérail comme un être irréel. Mon modèle est une prison de chair. » JP WITKIN
  9. Dany LERICHE, Ayaba, 1992, impression, diptyque, 186 x 133 and 186 x 30 cm
  10. YVES-SAINT-LAURENT, affiche publicitaire, 1999
  11. Valery KOSHLYAKOV, Baigneuse de Valpincon, 2004-08, plastique, carton et scotch d’emballage
  12. Stéphane LALLEMAND, La Baigneuse, 2007, photographie,
  13. Kristyna and Marek MILDE, Valpinçon Bather after Ingres, 2008, photographie
  14. Miryan KLEIN, Le Violon d’Ingres II, photographie, bulle, résine, 2009
  15. Jean-Luc MOERMAN, Sans titre (Epiphyte), 2011, encre sur papier, 130 x 100 cm
  16. Elizabeth KLEINVELD, Ode to Ingres’ Valpincon Bather, 2012, photographie
  17. MISS TIC, Femmes passives, femmes faciles elles ont bon dos, 2014, street-art, pochoir
  18. @rosesparrow, Remake Violon d’Ingres, tatouage

Références artistiques

  • Man RAY, Le Violon d’Ingres (d’après La Baigneuse de Valpinçon d’INGRES), 1924, photographie, Musée national d’Art moderne, Paris
    La photographie nous montre Kiki de Montparnasse, alors la maîtresse de Man Ray, avec ses bras croisés si loin devant elle que son dos ressemble à la table d’un violon. Cette association est encore accentuée par les deux ouïes qui ont été rajoutées après coup à l’aide d’un pochoir. Cette photographie qui a été publiée en 1924 dans la revue Littérature était parmi les premières images qui ont apportées la preuve que le procédé photographique, apparemment lié pour toujours au réalisme, était suffisamment souple pour réaliser des images surréalistes.
    Source Centre Pompidou
  • Salvator DALÍ, Métamorphose de Narcisse, 1937, huile sur toile, 51,2 cm x 78,1 cm, Tate Modern, London
  • Joel-Peter WITKIN, Las Meninas (Self-Portrait after Velázquez), 1987, photographie, https://www.museoreinasofia.es/en/collection/artwork/meninas-self-portrait-after-velazquez
  • PIERRE et GILLES, Sainte-Agathe, 1989, photographie peinte
  • Cindy SHERMAN, Untitled #224. (Carravaggio’s Sick Bacchus), 1990, photographie, https://www.moma.org/audio/playlist/261/3365
  • Douglas GORDON, 24 Hour Psycho (à partir du film Psycho d’Alfred HITCHCOCK), 1993, installation vidéo, 24h
  • Douglas GORDON, Self Portrait as Kurt Cobain as Andy Warhol as Myra Hindley as Marilyn Monroe, 1996, photographie colorée à la main
  • Vik MUNIZ, Double Mona Lisa after Warhol (Peanut Butter + Jelly), 1999, cibachrome
  • Marcos LÓPEZ, Asado en Mendiolaza, Córdoba (d’après la Cène de Léonard DE VINCI), 2001, photographie
  • Julie HOLCOMBE, Self as Narcissus (d’après LE CARAVAGE) 2003, C-print, 114 x 110 cm
  • Julie HOLCOMBE, Babel Revisited (d’après La Tour de Babel de Brueghel l’Ancien, 1563), 2004, C-print, 110 x 114 cm
  • Idris KHAN, Every… Bernd and Hilla Becher Gable Side Houses, 2004, photographie
  • Vik MUNIZ, Narcissus, after Caravaggio, 2005, cibachrome
    Vik Muniz sonde la nature et les traditions de la création d’images en utilisant des matériaux improbables pour créer des images avant finalement d’être prise en photo. La série Pictures of Junk est construite sur des peintures de dieux ou héros de la mythologie classique des maîtres anciens. Sur cette photographie, inspirée du célèbre tableau du Caravage, le héros grec Narcisse regarde son reflet dans une mare d’eau, absorbé par sa propre beauté. L’image, assemblée sur le sol d’un hangar de la taille d’un terrain de basket à la périphérie de Rio de Janeiro, est composée de décombres industriels tels que des écrous, des boulons, des bouchons de bouteilles, des canettes de soda, des pneus jetés, des brouettes, des panneaux rouillés, une voiture portes et ferraille. Vik Muniz a dirigé ses assistants – des étudiants en art des quartiers pauvres à proximité – à partir d’une plate-forme à quarante pieds au-dessus du sol. Cette traduction fantaisiste d’une image vénérable en matériaux improbables est encore plus compliquée qu’il n’y paraît à première vue.
  • Corinne VIONNET, Photo Opportunities, à partir de 2005, photographies
  • Charle WHITE, David (Everything is American), 2005, photographie
  • Bernard PRAS, La Vague (d’après HOKUSAI), 2007, anamorphose photographique
  • Gérard RANCINAN, The Big Supper (d’après la Cène de Léonard DE VINCI), 2008, photographie
  • Bernard ARCE, Narcissus – Trapped in Carravaggio, 2011, vidéo
  • Marcos VILARIÑO, The Steerage after Alfred Stieglitz 1907, photographie, figurines Lego
  • Richard UNGLIK, Le radeau de la Méduse (d’après Théodore GÉRICAULT, 1819), photographie de figurines Playmobil, exposition « L’Histoire en Playmobil », Espace Richaud, Versailles, 2019, détail en bandeau

Questionnement(s) :

  • La représentation ; images, réalité et fiction : la narration visuelle – l’autonomie de l’œuvre d’art, les modalités de son autoréférenciation.

Expérimenter, produire, créer (D1, D2, D4, D5) :

  • S’approprier des questions artistiques en prenant appui sur une pratique artistique et réflexive.
  • Recourir à des outils numériques de captation et de réalisation à des fins de création artistique.
  • Explorer l’ensemble des champs de la pratique plastique et leurs hybridations, notamment avec les pratiques numériques.
  • Exploiter des informations et de la documentation, notamment iconique, pour servir un projet de création.

Mettre en œuvre un projet artistique (D2, D3, D4, D5) :

  • Faire preuve d’autonomie, d’initiative, de responsabilité, d’engagement et d’esprit critique dans la conduite d’un projet artistique.

S’exprimer, analyser sa pratique, celle de ses pairs, établir une relation avec celle des artistes, s’ouvrir à l’altérité (D1, D3, D5) :

  • Porter un regard curieux et avisé sur son environnement artistique et culturel, proche et lointain, notamment sur la diversité des images fixes et animées, analogiques et numériques.

Se repérer dans les domaines liés aux arts plastiques, être sensible aux questions de l’art (D1, D3, D5) :

  • Interroger et situer œuvres et démarches artistiques du point de vue de l’auteur et de celui du spectateur.

D1 Les langages pour penser et communiquer – D2 Les méthodes et outils pour apprendre – D3 La formation de la personne et du citoyen – D4 Les systèmes naturels du monde et l’activité humaine – D5 Les représentations du monde et l’activité humaine